Cet article s'inscrit dans le cadre de l'ouvrage collectif "Séparations conflictuelles et aliénation parentale : Enfants en danger", paru en février 2016 aux éditions Chronique sociale.
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L'urgence d'une politique de guidance parentale
Deux évènements, deux rencontres m’ont amené à faire évoluer ma pratique de pédopsychiatre et de psychanalyste, lors de consultations où je reçois un patient confronté à une situation de séparation particulièrement conflictuelle.
Tout d’abord ma rencontre, en 2005 avec l’Association Acalpa et sa présidente, m’a montré à quel point ces situations dramatiques volaient leur vie à ceux qui en étaient victimes. Les réponses judiciaires étant le plus souvent impuissantes à trouver une solution juste et équitable pour les victimes de ces situations, en premier lieu les enfants.
La préparation d’un colloque, auquel je contribuais, organisé en 2007 par la Fondation pour l’enfance [1] sur le problème des enfants impliqués dans ces situations a été le second élément déclencheur. Malgré tout ce qui est proclamé, le droit des enfants à vivre avec leur deux parents est très peu pris en compte, leur avis encore moins, et les conséquences sur leur développement futur, si la situation d’aliénation s’enkyste, ignorées.
J’ai exercé longtemps en tant qu’expert judiciaire, mais je ne suis pas pour autant juriste et n’ai pas de compétences particulières dans ce domaine. Je connais néanmoins les rouages des procédures concernées par ces situations. Je suis ainsi à même de rendre compte de ces situations complexes et de conseiller le patient qui vient me consulter.
Je suis également en mesure de pouvoir dialoguer utilement avec un avocat s’il est lui-même sensible à la complexité des éléments psychopathologiques inhérents à ces problématiques. En effet, l’avocat est lui aussi confronté à des situations dont les ressorts psychologiques - et à plus forte raison psychopathologiques -, lui échappent. Mais s’il ne prend pas en compte les particularités de ce contexte d’aliénation parentale, les solutions de compromis qu’il pensera souhaitable de conseiller, seront généralement vouées à l’échec.
Le désarroi des parents
Ce sont les parents qui viennent me voir.
Ou plus précisément un des parents, celui qui se retrouve privé de ses enfants, soit par décision du juge des affaires familiales, soit par la non-application de la décision par l’autre parent.
L’examen attentif de ces situations me permet dans un premier temps de constater que l’on peut considérer qu’il y a deux temps dans les ruptures.
Dans un premier temps, c’est un conflit violent entre conjoints, lié à une déception, une trahison, un comportement vécu comme insupportable. Cette rupture n’est que l’aboutissement d’une longue détérioration de la vie conjugale qui a commencé , me semble-t-il, avec l’arrivée du ou des enfants. La séparation apparaît à l’un des deux comme la seule solution. A cette phase, les enfants entrent peu en ligne de compte. Ce qui est recherché, c’est le bien-être personnel de celui qui décide de la séparation. Le droit de divorcer, de se séparer est perçu comme légitime ; il s’agit de poursuivre sa vie librement, sans cette attache encombrante.
Mais une fois la rupture acquise, consommée, alors l’enfant devient à son tour un nouvel objet dedispute. Régler les modalités de la garde devient l’enjeu du conflit. C’est le deuxième temps du psychodrame. Un temps qui risque de devenir interminable.
Chaque cas est un cas particulier, dans ses modalités, même si tous les cas d’aliénation parentale relèvent d’un même mécanisme, tel que je l’ai explicité dans le chapitre 2 « Pourquoi tant de haine après tant d’amour ».
Mais pour simplifier, je dirais que celui qui vient me consulter, majoritairement, c’est le parent qui s’estime lésé par son ex-conjoint qui veut l’éliminer de la garde de l’enfant, qui veut en avoir l’exclusivité, et qui refuse farouchement à l’autre parent le partage de l’autorité parentale.
Parfois, même si c’est plus rare jusqu’ici, c’est le parent dit aliénant, compte tenu de ses troubles graves de personnalité, qui me consulte. Lui ou elle aurait voulu, s’il l’avait pu, éliminer l’autre parent de la garde des enfants. Il se proclame néanmoins victime quand il pense que la dynamique du conflit avant jugement n’évolue pas en sa faveur. Ou quand la justice ne lui a pas donné satisfaction. Dans ce cas, le parent qui risquait de deveniraliénant va être amené à se considérer lui-même comme aliéné et se situer dans le registre de la plainte. Et il est effectivement aliéné au sens psychiatrique du terme, jusqu’au délire de persécution. Il a bien sûr droit à toute notre attention professionnelle, dans une optique de soin, sans aucune espèce de stigmatisation.
Dans tous les cas, pour sortir de ces situations qui apparaissent extrêmement bloquées, il faut que la personne qui vient me voir ait le désir de comprendre les ressorts de la situation dans laquelle elle est impliquée et de faire, par conséquent, un retour sur elle-même.
- Pourquoi vous êtes vous engagé(e) avec cette personne qui vous paraissait la bonne personne au moment de la rencontre, avec laquelle vous avez partagé une passion amoureuse et avec laquelle vous avez décidé de fonder une famille et d’avoir des enfants ?
- Quelle relation cela a-t-il avec votre propre histoire familiale ?
Mon postulat étant que dans ces situations, dans le choix amoureux du partenaire, il n’existe pas de hasard. Nous reproduisons en pire, mutatis mutandis, bien que le choix se fasse sur un nombre relativement peu élevé de candidats, sans nous en rendre compte, les caractéristiques de notre propre modèle familial.
Je reçois des personnes en grande souffrance, voire désespérées, manifestant un grand sentiment d’injustice. Il s’agit par conséquent, au-delà d’une écoute attentive de leur situation présente, de les amener à une réflexion approfondie sur les origines du conflit. Cela suppose un travail approfondi de remémoration de la vie du couple jusqu’à la situation actuelle, mais aussi sur les éléments significatifs de sa propre histoire familiale.
Parallèlement un travail de soutien et d’accompagnement s’avère nécessaire pour aider le patient à gérer au mieux de l’intérêt de l’enfant, le déroulement de la crise en cours. Un travail psychothérapique avec l’enfant s’avère aussi souvent indispensable, encore faut-il que les deux parents l’acceptent, un accord des deux parents étant légalement requis (ce qui est malheureusement rarement le cas dans ce type de situation). Seule une injonction judiciaire de soin permettrait de passer outre à cette difficulté.
Dans le même temps, la procédure judiciaire continue. Le plaignant n’y comprend en général pas grand-chose. L’autre parent et son avocat ont convaincu le juge qu’il avait raison et que la garde des enfants devait nécessairement lui être attribuée. Indépendamment du travail psychologique, il va falloir aider notre patient à ne pas se laisser enfermer dans une voie sans issue. L’idéal à ce stade serait de pouvoir parler avec l’avocat, mais mon expérience m’a montré que malheureusement peu acceptent de le faire, quels qu’en soient leurs motifs. Leur objectif compréhensible étant de faire gagner coûte que coûte la cause de leur client. On peut comprendre que les professions amenées à traiter ces dossiers extrêmement complexes font le plus souvent preuve de déni, d’évitement, voire de complaisance involontaire à l’égard de celui qui nuit à l’enfant en le privant d’un de ses deux parents [2].
Cette attitude est très déstabilisante pour le parent victime qui se sent nié par ceux-là même qui devraient l’aider. Ce qui renforce encore son désespoir : l’agresseur a tort, mais c’est lui à qui la justice donne bien souvent raison. Nous le constatons trop souvent : le parent aliénant, du fait même de sa conviction délirante d’avoir raison, parvient souvent à convaincre les experts, les avocats, les médiateurs, les juges de son bon droit, ceux-ci n’ayant pas compris la dimension psychiatrique de la personnalité de cette personne.
Ce type de guidance devrait à l’avenir être complémentaire d’une approche psychojudiciaire transdisciplinaire du type Modèle de Cochem. En France, un projet de loi visant à la mise en place d’un tel dispositif avait été présenté en 2005.. par la députée Nadine Morano avec la participation d’Olga Odinetz et de moi-même [3]. Il est resté dans les oubliettes et reste donc toujours d’actualité.…
Témoignages
Recueillis par Brigitte Broca
Les quatre témoignages qui suivent, rendus anonymes, devraient permettre de mieux comprendre la complexité de ce type de situation.
Le témoignage de Catherine S.
C’est le comportement des enfants à mon égard qui m’a tout d’un coup paru anormal et insupportable. Je veux dire qu’ils avaient dépassé une limite et je me suis décidée à demander de l’aide. J’ai trois enfants de 13, 11 et 10 ans. Depuis longtemps, ils n’avaient aucun respect pour moi. Puis les choses ont empiré. Ils sont devenus insultants. Il faut dire que l’exemple venait de leur père. Celui-ci leur disait en permanence du mal de moi. Si je rentrais du bureau avec un peu de retard, il leur disait que c’était bien la preuve que j’avais un amant. Il leur disait que je n’étais pas une bonne mère, que je m’occupais mal d’eux. Un retard de RER, c’était la preuve que je voyais quelqu’un d’autre. Cette jalousie, avec les enfants pris comme témoins, devenait insoutenable. Les enfants voyaient tout par ses yeux.
Lui seul les emmenait faire du sport, jouer au tennis, etc. Alors, les enfants ne voulaient plus que je touche à leurs affaires, ils refusaient que je regarde leurs carnets de correspondance et encore moins que je les signe. « C’est pas toi, c’est Papa ».
J’essayais de parler à mes enfants, de leur expliquer, mais les paroles de leur père étaient plus fortes. Je pensais que cela s’arrangerait. Mais cela ne s’est pas arrangé. Cela a duré près de 3 ans. J’ai décidé de demander le divorce pour la deuxième fois.
Au moment du divorce, j’ai découvert que les avocats ne comprenaient rien à ce type de situation. Je leur décrivais le comportement de mes enfants, rapportais leurs insultes, mais ils ne me croyaient pas. Ils me disaient que j’exagérais. J’ai dû voir 3 cabinets d’avocats avant d’en rencontrer un qui écoute vraiment ce que je lui disais. Et encore !
Mon mari a fait changer la serrure de notre appartement et je me suis retrouvée à la porte. J’ai dû trouver un logement dans l’urgence. Tout cela, l’avocat, un nouvel appartement coûte très cher. Heureusement, je travaille et le service social de mon employeur m’a beaucoup aidé. Je ne sais pas ce que peuvent faire les femmes qui sont dans ma situation et n’ont pas de revenus propres.
Et c’est vrai que dans ces situations, il faut être aidé, d’abord pour comprendre ce qui se passe. J’ai ainsi pu « ré-interpréter » le comportement de mon mari, sa jalousie maladive, sa personnalité, comprendre qu’il était malade. C’est essentiel de prendre un peu de recul sur la situation que l’on vit douloureusement pendant des mois et des années.
Il faut aussi être aidé pour prendre les bonnes décisions au bon moment. Par exemple, j’ai décidé de divorcer pour la première fois et j’ai obtenu la garde de mes enfants. Mais je ne suis pas partie. Je suis restée pour eux. Cela me semblait mal. La famille pour moi, c’est très important. Après 6 ans, j'ai demandé pour la deuxième fois le divorce parce que mon mari a manipulé les enfants jour et nuit et demandé à mes enfants d'écrire des lettre contre moi pour le juge.
Le deuxième jugement m’avait donné le droit d’avoir mes enfants un week end sur deux ; mais mon mari s’arrangeait pour les garder. Nous avons donc saisi le juge des enfants pour non-présentation d’enfant – mais je n’ai pu le faire que parce que j’ai enfin compris qu’il ne fallait rien laisser passer…
Mais ces procédures sont très longues, j'ai fait appel au juge des enfants et au juge des affaires familiales et, sans un soutien psychologique de chaque instant, on a souvent envie de tout laisser tomber. On a l’impression que le sujet est tabou et qu’on ne veut pas vous entendre. Enfin pas tout le monde, heureusement.
Ce qui me fait tenir, c’est que le comportement des enfants à mon égard a beaucoup changé. Les insultes, c’est fini. Je retrouve ma place et mon rôle de mère. Mais à quel prix !
Le témoignage de Lucie A.
« Le déclic s’est produit l’été dernier. En instance de divorce, je passais mes vacances chez mes parents avec mon petit garçon de 3 ans, Luc. Je regardais un reportage à la télévision sur les enfants pris en otages par un des parents dans des situations de conflit conjugal grave. « Dieu me préserve d’un tel drame ! » m’exclamais-je en fin d’émission. « Tu ne t’en rends peut être pas compte, mais il a déjà commencé ! » répliqua ma mère. Sa remarque a été un choc et c’est cela qui m’a décidé à chercher de l’aide.
J’ai cherché sur Internet et j’ai trouvé beaucoup d’informations sur le site d’Acalpa.
Quand je suis venu consulter, ma demande était simple : un enfant de 3 ans peut-il être concerné par ces phénomènes d’aliénation ? J’ai compris que oui et j’étais bien partie pour le perdre si je laissais passivement la procédure de divorce suivre son cours.
Et en quelques jours, toutes les pièces du puzzle se sont mises en place et m’ont ouvert les yeux : le comportement de Luc, l’attitude de mon mari, celle des enfants de son premier mariage. J’ai pris conscience de la gravité de la situation. Chaque fois que mon fils passait le week end chez son père, il se montrait au retour extrêmement agressif à mon égard, refusant de rentrer dans l’appartement, pleurant sur le seuil de la porte, refusant d’enlever son manteau, de dîner... « T’es morte, maman » me déclara-t-il un soir, se faisant ainsi le messager de son père. J’ai commencé à paniquer.
Les consultations régulières ont un double objectif : prendre conscience et comprendre ce qui se passe, d’une part, anticiper et préparer les étapes de la procédure judiciaire, d’autre part. Nous avons pris un nouvel avocat, expérimenté dans ce type de situation, et nous préparons les arguments susceptibles de contrer ceux de mon mari.
J’ai épousé un veuf avec quatre enfants. Et ensemble, nous avons eu Luc. Très vite, il s’est montré violent à mon égard, tout en réussissant à mettre les enfants de son côté. Quand il me battait, les enfants allaient le consoler lui, le plaignant et me critiquant. Il ne voulait pas que je gère l’argent du ménage, confiant le porte monnaie à une de ses filles quand nous allions faire les courses. Il trouvait que j’achetais toujours trop : trop de biscuits, trop de yogourts… C’est un homme qui veut toujours que nous soyons dans le manque. Pour lui, toutes les femmes sont dangereuses. Je ne savais plus où j’en étais. La situation devenait de plus en plus intenable. Il fallait que je disparaisse. Sinon, c’est lui qui m’aurait fait disparaître un jour ou l’autre. Alors je suis partie avec Luc.
J’ai mis plusieurs mois avant de me considérer comme victime, et non comme coupable. Au cours des consultations, j’ai pris conscience que cet homme que j’avais épousé était devenu mon pire ennemi. J’ai dû le reconnaître, l’accepter pour me défendre efficacement. Car il est très fort. Son objectif est de me faire passer pour folle auprès du juge et donc donner à croire qu’il sauve la famille en la préservant de ma folie. Le sauveur, c’est lui. Le danger, c’est moi.
Il faudra que je comprenne pourquoi je me suis mise dans cette situation, pourquoi j’ai choisi de faire ma vie avec cet homme-la. Mais ce sera dans un deuxième temps. Pour le moment, il faut gérer une situation matériellement très difficile puisque nous avons dû déménager pour qu’on ne nous retrouve pas et empêcher que Luc ne soit enlevé par son père. L’enfant ne va plus à la crèche car son père a déjà fait une tentative de venir le prendre à ma place.
Dans cette phase, le soutien psychologique et le conseil juridique me sont indispensables. La prochaine étape est l’expertise médico-psychologique demandée par le juge. C’est une étape clé, je crois, et je m’y prépare. Car la seule chose que mon ex-mari peut entendre, c’est la parole de la justice. Pour sauver mon fils, il faut que ça passe par la justice. »
Le témoignage de Pierre L.
« Quand nous nous sommes séparés, ma femme et moi, notre fils avait 2 ans. Elle est partie du jour au lendemain pour vivre avec un autre. Nous avons d’emblée opté pour la garde alternée. François passait une semaine chez l’un, une semaine chez l’autre. Tout se passait bien et notre fils semblait bien s’adapter à la situation nouvelle.
Les choses ont commencé à se dégrader quand j’ai voulu que nous divorcions. Elle supportait mal cette officialisation. Elle avait toujours été psychiquement fragile. Cela empira. Concernant la garde de François, elle avait tendance à tirer la couverture à elle : elle le prenait un jour plus tôt, le ramenait un jour plus tard, remettait en cause une semaine de vacances avec moi. Ou parfois ne voulait pas s’occuper de notre fils. Moi, je ne voulais pas de drame, cela ne me semblait pas grave, même si ça m’agaçait. Et puis François a commencé à parler : « Si maman continue à crier, je n’irai plus chez elle », « Maman s’est battue avec Philippe » (le compagnon de sa mère).
Et puis, quelques années après, François avait 8 ans, j’ai, moi aussi refait ma vie. Et là, les choses ont franchement dégénéré. Elle m’appelait 20 fois par jour, voulait parler à son fils en permanence quand il était avec moi, appelait sur mon lieu de travail, me reprochait d’être un mauvais père, de négliger notre enfant. Notre fils a commencé à aller mal, avec des troubles compulsifs impressionnants. Elle est allée jusqu’à prendre François sur mon temps d’hébergement sans mon accord. Pour mettre fin à cette situation invivable, j’ai porté plainte pour harcèlement et non présentation de l’enfant et j’ai entamé une procédure auprès du juge aux affaires familiales.
Une expertise psychiatrique a été demandée par le juge. L’expert nous a vu tous les trois. François venait d’avoir 9 ans et il a raconté tout ce qui se passait chez sa mère : les cris, les tentatives de suicide, les promesses de cadeaux, le chantage affectif…
Le rapport d’expertise m’a donné de l’espoir. Il indiquait que l’enfant était en danger, que le juge pour enfant devait être saisi, que François devait être suivi par un psychologue. Il conseillait de reprendre la garde alternée.
Le jugement confirme les éléments du rapport.
Mon ex-femme a fait appel auprès du juge aux affaires familiales. Celui-ci ordonne une médiation.
Et brusquement, le comportement de François change du tout au tout. Il écrit au juge qu’il voulait vivre avec sa mère. Il ne me parle plus, ne me confie plus rien. Il refuse de prendre ses repas avec nous. Nous partons en vacances : il refuse de partager des activités avec moi. Sa mère lui a offert un téléphone portable : ils se parlent des heures au téléphone. Evidemment, il refuse la psychothérapie. « Si tu m’aimais, tu me laisserais aller vivre chez maman » me dit-il sans cesse.
Le jugement en appel a été pour moi un choc épouvantable. Le juge, prenant acte de la demande de l’enfant, décide que la résidence principale de l‘enfant est chez sa mère. Il n’est fait nulle mention du comportement de la mère, de la souffrance de l’enfant, seul au milieu de cette guerre, tiraillé dans ses sentiments et obligé de choisir entre son père et sa mère…
On peut donc avoir des comportements hors-la-loi (harcèlement, pressions et violences psychologiques, non-respect des droits de visite, etc.) et pourtant obtenir ce que l’on souhaite avec l’assentiment des juges. Je suis effondré. Et quel exemple de justice pour mon fils !
Ce que j’ai trouvé terrible, tout au long de ce feuilleton juridique, c’est l’incompréhension totale des avocats, médiateurs, experts, juges pour enfant, juges aux affaires familiales de ce qui se passe. Personne ne veut y regarder d'un peu plus près, prendre en considération le danger moral pour l’enfant. Il suffit qu’il dise « Je veux vivre avec ma mère » pour que cela soit perçu comme la bonne solution. Et tellement facile à prendre ! Et sans aucun garde fou pour l’enfant.
Un soir de découragement total, j’ai demandé de l’aide à Acalpa. Et les consultations qui en ont découlé ont été un immense soulagement. Pour la première fois, je parlais à quelqu’un qui savait ce qu’était l’aliénation parentale, comprenait l’état mental pathologique de mon ex-épouse. La grille de lecture de la situation qui m’a été proposée a été éclairante. Cela m’a aidé dans mon comportement avec mon fils, à rester zen dans les démarches juridiques.
Aujourd’hui, je vis un peu au jour le jour. Mon fils revient vers moi. J’espère que sa mère se soigne et que d’autres crises ne viendront pas défaire le patient travail de reconstruction de liens que je suis en train d’accomplir.
Ces consultations m’ont permis de rompre avec une solitude extrême et d’apprendre à vivre avec une douleur insoutenable. La solitude extrême que l’on ressent face à l’incompréhension ou l’inaction de la plupart des professionnels que l’on rencontre dans cette situation et à qui on lance des appels à l’aide pour sauver notre enfant, des appels qui restent sans réponse : avocats, juges, médiateurs, médecins, etc.
La douleur insoutenable, c’est celle de perdre l’amour de son enfant – pire de voir naître de la haine à mon encontr e- en voulant le protéger et l’aider, comme c’est le rôle d’un parent aimant.
Le témoignage qui suit est dramatique.
L’aliénation parentale bouleverse la structure émotionnelle des enfants et, dans les cas les plus graves, est une véritable entrave à leur entrée dans la vie adulte. Certains s’en débrouillent plus ou moins bien. D’autres, et c’est le cas de Lorette, renoncent à vivre. Voici le récit sa mère.
Le témoignage de Andrée X.
Ma fille Lorette s’est jetée sous un train, il y a maintenant deux ans. Complètement effondrée, désemparée, inquiète pour mes autres filles, j’ai cherché de l’aide. Quand un suicide se produit, la police intervient pour un examen médico-légal. Et c’est le psychologue de la police qui m’a renvoyé sur Acalpa après avoir entendu mon récit et ce que je lui rapportais sur le comportement de mon ancien mari. J’ai alors entrepris de revisiter tous les évènements qui ont abouti à la mort de ma fille de 24 ans.
J’ai partagé la vie de Jacques pendant dix ans, avant d'avoir nos trois enfants. Trois filles.
La vie matérielleme satisfaisait : j’avais un emploi intéressant et stable dans une administration. Jacques, lui, se contentait de petits boulots, par-ci, par-là, le plus souvent payés au noir. Je pensais que cela ne durerait pas. Mais cela a duré.
A la naissance de l'aînée, Lorette, son caractère est devenu difficile. Il rentrait dans des colères injustifiées. Il s'est mis à m’humilier. Il est devenuparfois violent verbalement. Ou très agressif. Avec moi, surtout, et parfois avec les filles. Quand je le lui reprochais, ce n’était jamais de sa faute, mais de la mienne. Il me culpabilisait.
Il tenait de moins en moins ses engagements et je ne pouvais plus compter sur lui.
Avec mes amis et certains membres de ma famille, il se rendait de plus en plus désagréable et les recevoir à la maison devenait problématique.
Les années passant, notre couple allait de plus en plus mal et je me sentais de plus en plus isolée de mes amis et de ma famille. J’ai réussi à ce qu’il accepte une thérapie commune. Mais je me suis très vite rendu compte que cela ne servait à rien. Il tentait de mettre le thérapeute dans sa poche et la fautive de nos difficultés, c’était encore moi. Quant au thérapeute, il n’a pas du tout perçu que notre famille était en danger.
Nous nous sommes séparés lorsque l'aînée, Lorette, allait avoir 10 ans. Trois ans après, il n’avait toujours pas versé un sou de la somme qu’il s’était engagé à nous donner pour la vie quotidienne. Je me suis décidée à faire intervenir la justice. Il a embobiné le juge en prétextant qu’il n’avait pas de travail, qu’il était en formation et que très prochainement, il verserait la somme due. Cinq ans après, il n’en était toujours rien. Il ne s’intéressait pas aux enfants et ne les a pas vus pendant cinq ans.
Il s’est intéressé aux deux aînées quand elles sont devenues adolescentes. A ce moment-là, il avait une nouvelle compagne.
C’est à partir de là que tout a basculé. Pas du jour au lendemain. Mais insidieusement et pernicieusement. En me dénigrant par personne interposée. Par exemple, je surveillais leur travail scolaire de mes filles, j’exigeais qu’elles disent où elles allaient quand elles sortaient, etc. Bref, je les élevais avec une certaine fermeté. Leur père critiquait tout ce que je faisais, tout ce que je disais et mes relations avec les filles sont devenues conflictuelles.
Chez leur père, tout était formidable, elles avait le droit de faire tout ce que je leur interdisais de faire. A la maison, avec moi, tout était nul. J’étais ringarde, coincée, pas normale. Je reconnaissais le discours de leur père. Un exemple ? C’était la mode des pantalons taille basse et des strings qui dépassent : je leur interdisais d’aller au lycée ainsi, mais elles se changeaient dans le hall de l’immeuble pour enfiler des vêtements ultra sexy que leur offrait leur père.
Quelques mois avant le bac, Lorette, affolée, m’a avoué qu’elle avait peur d’être enceinte d'un jeune homme qu'elle retrouvait chez son père, en week end. Avant que j’ai le temps de lui dire quoique ce soit, elle m’a dit « de toutes façons, tu peux rien me dire : quand tu avais mon âge, tu t’es fait avorter ! » Son père le lui avait raconté et Lorette s'en servait pour justifier son geste !
Un jour, j’ai dû aller la chercher au commissariat : elle avait volé dans un grand magasin. Quand je lui ai demandé d'expliquer son geste, elle a répliqué que les commerçants étaient tous des voleurs, des exploiteurs et que ce n’était que justice de se servir. Je croyais entendre son père, à 18 ans.
Bref, dans les années qui ont suivi, les mêmes scénarios se sont reproduits : la mère dit non, le père dit oui en ridiculisant les arguments de la mère. Elle voulait partir seuleen vacances en Egypte. Je le lui déconseillais comme trop dangereux pour une jeune fille. Son père lui disait que c’était génial et elle partait.
Ensuite, alors qu’elle était à l’université, elle a voulu prendre une année sabbatique et aller en Asie. J’étais opposée à cette aventure. Je lui expliquais que reprendre ensuite ses études serait très difficile et que partir seule avec un copain était très dangereux. Evidemment, son père a trouvé l’idée géniale et a financé une partie du voyage.
Le voyage s’est arrêté au Népal. Lorette m’a appelé en panique. Son copain était rentré sans elle. Elle s’était installée dans un village qui l’avait au début très bien accueillie. Puis, je l’ai su après, l’ambiance avait peu a peu changé car Lorette se comportait comme une féministe occidentale et ne respectait pas les coutumes locales, la réserve des femmes, la pudeur, les tenues vestimentaires. Le village s’était ligué contre elle, devenant menaçant. Je lui ai recommandé de quitter ce village, d’aller dans une ville où il y ait un consulat. J’ai eu beaucoup de mal à changer la date de son billet d’avion, mais j’y suis arrivée. Et elle est rentrée.
A Roissy, j’ai retrouvée ma fille complètement changée. Epuisée, amaigrie, triste, renfermée.
A la maison, elle restait des heures dans son lit, ne mangeait presque pas.
Puis elle a repris le dessus et elle a recommencé à me faire des reproches. Sur l’éducation rigide que je lui avais donnée. Pourquoi ne lui avais-je pas parlé de sexualité ? Son père était bien plus détendu sur ces questions et lui expliquait beaucoup de choses, lui racontait ses expériences, lui donnait des conseils, me disait-elle. J’ai essayé de lui expliquer que les parents ne doivent pas étaler leur vie intime devant leurs enfants – peine perdue. Elle était péremptoire : l’inceste n’existe pas ; la pédophilie est une invention.
Elle est repartie l’année suivante dans le sud de la France, avec l’idée de reprendre ses études par correspondance. Elle avait un nouveau copain, un gentil garçon un peu paumé, avec qui elle est allée vivre, dans un village perdu des Cévennes. En fait, elle s’est retrouvée très seule, n’ayant pas d’amis avec qui parler et son état mental s’est dégradé.
Quand ils sont venus passer Noël chez moi, elle s’est effondrée. Elle ne dormait plus et m’a avoué qu’elle ne voulait pas grandir et qu’elle avait envie de se tuer. Nous avons beaucoup parlé. De ses relations avec son père. J’ai découvert qu’il rentrait souvent dans des états de colères démesurée dirigées contre ma fille, qu'il l’humiliait souvent et que, lorsqu'elle demandait des explications, il retournait toujours les situations à son avantage. Il mettait sur le compte bancaire de Lorette de l’argent gagné au noir qu’elle n’avait pas le droit de dépenser. Je lui ai raconté que j’avais subi les mêmes violences morales, la même dépréciation quand je vivais avec lui.
J’ai réussi à la convaincre de se faire aider. Nous sommes allées aux urgences et le médecin, voyant son état, a proposé de la garder. Lorette voulait absolument avoir l’accord de son père avant d’accepter – elle avait 24 ans. Lui trouvait qu’un peu de repos suffisait. J’ai dû beaucoup insister, avec l’appui du médecin, pour qu’il accepte.
A l’hôpital, son père passait toutes ses après-midis au chevet de sa fille. Quand je demandais à passer un peu de temps seule avec elle, son père hésitait à nous laisser seules, toutes les deux. Puis, c'est Lorette qui s'est mise à refuser de me voir en tête-à-tête. Je me préoccupais de l’après-hôpital. J’avais trouvé un établissement où l’on était encadré et soigné tout en suivant une formation. Quand j’en ai parlé à Lorette, en présence de son père puisqu’il était toujours là, il s’est mis à crier : « Tu vas nous lâcher ! Cela fait 25 ans que tu nous emm… »
Le séjour à l’hôpital a duré plusieurs mois. Je voyais bien que l’état de Lorette ne s’améliorait pas. Son père disait, devant Lorette suicidaire : "si quelqu'un me demande de l'aider à se suicider, je ne le convaincrai pas de vivre. Je respecterai sa douleur et je l'aiderai à mourir". Il lui dressait la liste des effets secondaires de médicaments qu'elle avalait, prise de poids, douleurs musculaires, diminution de la libido... Je soupçonne qu’elle recrachait ses médicaments et sa nourriture. Pourtant, après trois semaines, le médecin a jugé qu’elle était stabilisée et qu’elle pouvait rentrer chez elle.
Elle a quitté l’hôpital.
Le lendemain, elle se jetait sous un train.
Son père racontait à qui voulait l’entendre qu’il allait lui aussi se tuer. Mes deux filles voulaient aller vivre avec lui pour le soutenir. Nous avons réussi, grâce à des amis à les en dissuader, en leur expliquant que la vie, c’est de quitter ses parents. Et qu’un homme comme lui ne se suicide pas...
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[1] Colloque organisé en 2007, sous la présidence de Madame Giscard d’Estaing et parrainé par Madame Simone Weil.
[2] Cf Le Syndrome de Médée Pr. A. Andreoli op. cit.
[3] Article 1 A l’article 252 du code civil, après les mots « que sur ses conséquences », ajouter : « Le juge peut accompagner la tentative de conciliation de l’obligation d’accomplir pour les deux parents un stage de guidance parentale, selon des modalités fixées par décret. Ce stage peut être imposé tout au long dela procédure de divorce. »
Article 2 A l’article 373-2-6 du code civil, après les mots « sans l’autorisation des deux parents », ajouter : « dans le cas d’une séparation conflictuelle, il peut aussi enjoindre les deux parents de suivre un stage de guidance parentale prévu à l’article 352 du code civil.