Cet article est une interview du Dr. Roland Broca, parue dans le mensuel Le Médecin des Yvelines, en septembre 2011.
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Le Docteur Broca a exercé pendant 35 ans des fonctions de chefferie de service tant en psychiatrie générale qu'en psychiatrie infanto-juvénile avec l'ambition de faire évoluer la psychiatrie asilaire vers une psychiatrie à visage humain. Désormais retraité mais continuant une activité à caractère institutionnel, il vient de mettre en évidence une très forte prévalence des anomalies génétiques en matière d'affections relevant du handicap mental.
Odile Buisson : Pourquoi avez-vous décidé de travailler à "L'Envol"?
Roland Broca : Une proposition m'a été faite à l'Institut Médico-Educatif (IME) "L'Envol" qui souffrait depuis presque dix ans de l'absence d'un médecin psychiatre. C'est ainsi que j'ai été embauché au titre de médecin coordinateur de l'équipe de soin.
Celle-ci comprend un médecin généraliste à temps partiel et un praticien de médecine fonctionnelle. Dans le domaine paramédical, quatre psychologues : une neuropsychologue, deux psychologues institutionnels, une psychothérapeute. Par ailleurs, deux kinésithérapeutes, trois psychomotriciens, deux orthophonistes et un ergothérapeute complètent l'équipe de soin dans le domaine de la rééducation.
OB : Quelles sont les pathologies que vous avez prises en charge dans cette Association ?
RB : Mon activité de médecin coordinateurse déploie sur deux établissements : un IME accueillant 103 enfants et adolescents présentant des difficultés d'apprentissage de l'ordre de la déficience intellectuelle.
Par ailleurs, j'interviens à temps partiel dans le cadre d'un Service d'éducation spécialisée et de soins à domicile (SESSAD) qui prend en charge 42 enfants et jeunes adolescents, scolarisés par l'Education nationale dans le cadre de l'éducation spécialisée. Ces enfants présentent également des pathologies diverses relevant de la déficience intellectuelle.
OB : Qu'est-ce qui vous a mis sur la piste d'une possible cause génétique dans les patholigies que vous avez traitées ?
RB : Je suis parti du constat que plus de la moitié de ces enfants et adolescents ne bénéficiaient pas d'un diagnostic étiologique. L'approche thérapeutique était par conséquent uniquement orientée par des phénomènes cliniques non interprétés.
Une approche rationnelle de ces problématiques impliquait donc d'obtenir un diagnostic précis permettant d'orienter les stratégies thérapeutiques. Les enfants déjà diagnostiqués révélaient majoritairement une causalité d'origine génétique.
Par ailleurs une observation attentive des symptômes présentés par la population non diagnostiquées, révélait une pathologie neurologique pour laquelle l'hypothèse génétique paraissait fondée, sauf cas d'espèce minoritaire, type foetopathie alcoolique, prématurité, anorexie néonatale, enfant secoué.
OB : Comment une collaboration s'est-elle instaurée avec le Pr Arnold Munnich et comment avez-vous articulé vos recherches respectives ?
RB : Le Professeur Munnich, chef de service de génétique pédiatrique à l'Hôpital Necker, à qui j'avais fait part de mes difficultés diagnostiques, accepta de venir régulièrement à l'IME avec sa collègue, le Professeur Jeanne Amiel, pour des consultations in situ.
C'est ainsi que sept consultations se sont tenues en l'espace d'un an et demi, portant sur 56 enfants. A la suite de ces consultations, des enquêtes génétiques ont été entreprises, dont certaines sont encore en cours.
OB : Quels sont les premiers résultats dégagés par votre étude ?
RB : Cette enquête systématique a déjà permis de montrer que, pour des sujets présentant des capacités intellectuelles dans la zone de la déficience intellectuelle, la causalité très largement majoritaire se révélait être d'origine d'une atteinte neurologique.
Nous avons ainsi pu montrer que 87% de la population accueillie dans notre établissement présentait une pathologie d'origine génétique.
Ceci dit, il est clair qu'il n'existe pas de gène spécifique de la déficience intellectuelle. Par contre, au moins 500 anomalies génétiques identifiées ont pour conséquence un désordre cérébral responsable de la déficience intellectuelle.
OB : Vous attendiez-vous à trouver une telle prévalence de causes génétiques chez vos patients ?
RB : Les disciplines telles que la neurologie, la neurobiologie, la neuropsychologie en particulier m'ont semblé d'emblée indispensables à une compréhension scientifique rationnelle de la déficience intellectuelle, telle que je l'appréhendais à partir de la population de l'IME, dont j'avais la charge médicale.
Il ne s'agit pas précisément de maladies psychiatriques, mais d'affections relevant du handicap mental, c'est-à-dire présentant un trouble massif des apprentissages cognitifs. Mais, au-delà de la zone du retard mental, ces constatations révélées par l'enquête génétique, ouvrent des perspectives nouvelles concernant des troubles spécifiques, type dyslexie, dyspraxie, dysphasie, dyscalculie, etc., concernant des enfants normo-intelligents.
C'est ainsi que nous avons entrepris, avec le Professeur Arnold Munnich et le Professeur Laurence Vaivre-Douret, spécialiste des troubles du langage, une étude sur une famille pour laquelle les cinq enfants du couple présentent un trouble de dysphasie.
OB : Allez-vous publier vos résultats ?
RB : Certainement. Ceci dit, la publication des résultats est encore prématurée dans la mesure où certaines études sont encore en cours. Par contre, nous souhaiterions publier les contributions apportées par le colloque sur le thème "Neurosciences et déficiences intellectuelles", qui s'est tenu les 14 et 15 avril 2011, pour sensibiliser les professionnels du champ de la déficience intellectuelle à ces nouvelles approches.
En effet, les sciences de la vie ont fait de tels progrès au cours des dernières décennies qu'il est devenu indispensable de changer de paradigme.
OB : Concernant la prise en charge des enfants concernés par la déficience intellectuelle, quels enseignements pratiques peut-on tirer de vos recherches ?
RB : Le premier des enseignements pratiques consiste à mettre au principe de toute stratégie de soin une connaissance approfondie de la causalité des troubles observés.
Ensuite, il convient d'effectuer un bilan neuropsychologique approfondi qui va permettre de préciser la nature précise des difficultés constatées dans le domaine des apprentissages cognitifs.
A partir de là, il sera possible de définir en raison une stratégie non seulement pour les soins, mais également concernant les apprentissages cognitifs à la charge des enseignants et des éducateurs spécialisés.