Cet article appartient à une série d'articles portant sur une expérimentation autour de la prise en charge des déficiences intellectuelles , menée par le Dr. Roland Broca dans le cadre d'un institut médico-éducatif, entre 2007 et 2015.
Enseignements historiques de la langue des signes
Si on examine de près l’histoire de la langue des signes, on constate qu’elle se révèle riche d’enseignement pour éclairer notre démarche.
Les Perses et les Egyptiens entouraient les personnes sourdes d’une sollicitude particulière, considérant leur handicap comme le signe d’une faveur céleste.
Par contre, les Grecs pensaient que les sourds privés de parole et irrémédiablement ignorants ne pouvaient être éduqués. Une telle opinion a d’ailleurs conduit à la suppression physique de nombreux enfants sourds.
Plus tard à Rome, le code Justinien (530 ap J.C) a fait une place à certains sourds : les sourds-muets lettrés, les sourds doués de parole, les muets entendants et les cas de surdité tardive pouvaient jouir de leurs pleins droits civiques. Bien qu’ils aient grandement développé le théâtre, il ne semble pas que les romains aient eu l’idée d’associer le geste au mot.
Le Moyen-Age est une époque rude pour les sourds : ne pouvant participer aux rites religieux elles sont déchues de leurs droits civiques et frappées d’interdiction de se marier. Rejetés par l’église, considérés sans âme puisque sans parole, les sourds sont ignorés et classés parmi les fous ou les simples d’esprit.
La Renaissance, par la voix de l’italien Cardin(1501-1576) qui professe que les idées, même abstraites peuvent être traduites par des mots, entrevoit donc la possibilité d’éduquer les enfants sourds. Les voilà désormais considérés comme des êtres humains !
C’est le moine bénédictin espagnol Pedro Ponce de Léon qui ouvre au 16e siècle les premières classes spécialisées d’éducation des sourds dans son monastère et qui prône l’usage de l’alphabet dactylologique, usage préexistant dans les ordres monastiques ayant fait vœu de silence.
On doit ensuite au marrane Jacob Rodrigue Péreire d’avoir fait la transition de l’Espagne vers la France au 18ème siècle (1741). Il privilégie la démutisation, la lecture sur les lèvres, l’apprentissage précoce de la lecture et utilise une dactylologie adaptée à la langue française.
Elle sera codifiée au 18ème siècle (1750) par l’abbé Charles Michel de l’Epée, philanthrope, qui crée une institution pour l’éducation des personnes sourdes. Sa conviction philanthropique est religieuse avant d’être linguistique avec l’idée de faire admettre les sourds au rend de vrais chrétiens c’est-à-dire en tant qu’hommes a part entière, doués de raison et de langage. En 1791 deux ans après sa mort, l’assemblée nationale décrète que son nom soit inscrit comme bienfaiteur de l’humanité et que les sourds puissent bénéficier dorénavant de tous les droits humains.
A la même époque, en Allemagne, Heinicke jetait les bases de la philologie et de la méthode oraliste. Il attribuait une valeur mystique à la parole et s’opposa fermement à l’emploi des signes méthodiques mis au point par l’Abbé de l’Epée.
On voit donc se dessiner 2 idéologies. Certains, partisans d’une éducation de type oraliste, et d’autres, défenseurs de la langue gestuelle, seule véritable langue maternelle des sourds à leurs yeux.
Il reviendra à William Stokoe (1960) de la faire reconnaître comme langue naturelle à part entière. La délégation générale à la langue française du ministère de la culture reconnaît que « les langues des signes sont pour les sourds (et pour les handicapés mentaux non parlants ?). Le seul mode linguistique véritablement approprié, qui leur permette un développement cognitif et psychologique d’une manière équivalente à ce qu’il en est d’une langue orale pour un entendant. »
Cependant du fait que les langues de signes utilisent une modalité visio-gestuelle et non audio-orale mettent-elles en place des structures spécifiques autres que celles des langues orales ?
Pendant longtemps, les sourds, isolés, n’ont pu enrichir leur langues signées et ont dû se contenter d’une gestuelle simpliste ; de ce fait, ne disposant pas d’une langue élaborée, leur esprit ne pouvait se structurer et il leur était donc impossible de développer des capacités intellectuelles égales à celles de leur entourage entendant (d’où l’idée répandue qu’un sourd était idiot). C’est dans les familles de sourds qu’ont pu s’élaborer les premiers fondements de la LSF. Et c’est en se regroupant que les sourds ont pu enrichir leur langue.
Cependant, les oralistes considèrent que les sourds doivent apprendre à parler pour s’intégrer dans la société. Le congrès de Milan en 1880 – où l’immense majorité des participants est entendante – décrète l’abandon de la langue des signes dans l’enseignement des sourds-muets. Trois raisons sont invoquées : la LSF n’est pas une vraie langue, elle ne permet pas de parler de Dieu, et les signes empêchent les sourds de bien respirer, ce qui favorise la tuberculose…sic. Cette interdiction dure près de cent ans, pendant lesquels les professeurs sont entendants et utilisent exclusivement la méthode oraliste. Cependant, malgré l’interdiction de signer en classe, la LSF ne disparaît pas, les sourds se la transmettant de génération en génération, la plupart du temps pendant la récréation.
En 1991, la loi Fabius favorise le choix d’une éducation bilingue pour les sourds : LSF et le français écrit et oral. En février 2005, une loi institue la LSF comme langue officielle en France.
Aujourd’hui, des instituts – certains privés – ou des associations ont de nouveau intégré la LSF dans leur enseignement. Cependant, les professeurs sourds ne sont pas reconnus de façon officielle par l’Education nationale : les professeurs entendants signent, aidés par des éducateurs sourds.
Recommandations aux parents participant au programme d’apprentissage de la langue des signes
De nombreux jeunes enfants atteints de handicap mental sont d’ordinaire d’excellents communicateurs. Ils utilisent des expressions du visage, les gestes, miment, et vocalisent pour exprimer leurs idées. Parce que la langue parlée se développe souvent plus lentement que la langue comprise ou le désir de communiquer, le langage gestuel est souvent l’outil dont ils ont besoin pour prendre confiance dans leur propre capacité à communiquer.
Quand le langage gestuel est introduit à la naissance, il aide des bébés souffrant des conséquences d’une anomalie génétique ou d’un handicap de nature différente, de même que les bébés sans handicap, à apprendre à communiquer. Il construit un lien entre la famille, les soignants et le bébé. Il encourage aussi le contact visuel et l’attention aux mouvements longtemps avant que le bébé puisse coordonner tous les mouvements exigés pour le discours.
La compréhension des signes est également plus facile pour les enfants. Beaucoup de signes ressemblent à l’objet ou à l’action qu’ils représentent, tandis que les mots parlés pourraient être entendus comme les combinaisons de sons sans signification. La signature aide les jeunes enfants atteints de trisomie 21 à attacher un sens aux mots parlés. Ils deviennent plus attentifs et sensibles à leur environnement, ce qui soutient le mouvement d’apprentissage de la langue.
Par exemple, tous les enfants font le signe « au revoir » avant de dire le mot. Le langage gestuel s’appuie sur les gestes naturels que nous utilisons tous, comme « au revoir, » « salut, » et « viens » pour créer un message visuel qui accompagne le mot parlé. Il aide des enfants à apprendre l’efficacité, l’intérêt, et les aspects sociaux de la communication. L’utilisation du langage gestuel multiplie ce que les enfants peuvent exprimer avec leurs mains. Par la communication non verbale, les enfants peuvent obtenir l’attention du papa, demander un autre petit gâteau, demander au grand frère d’arrêter de les embêter (quelquefois), faire rire les gens, et apprendre.
Certains parents craignent que l’apprentissage du langage gestuel décourage les enfants d’utiliser la langue verbale. La recherche a montré que les enfants qui ont appris le langage gestuel diminuent leur usage de gestes et de signes spontanément à mesure qu’ils développent la capacité à parler clairement et à être compris par d’autres. La signature ne ralentit pas l’enfant quand il apprend à parler. Il les motive pour pratiquer de nouvelles façons plus efficaces pour communiquer parce que les autres les comprennent plus rapidement.
Commencements
Beaucoup de parents sont désemparés quand ils essaient d’imaginer comment apprendre à leur enfant à utiliser le langage gestuel. Cependant, ce n’est pas nécessairement une démarche très compliquée ni ennuyeuse. Bien sûr l’utilisation du langage gestuel est importante pour la communication, elle peut être aussi une expérience passionnante pour tout l’entourage familial. Voici quelques suggestions qui peuvent vous aider à vous sentir plus en confiance pour commencer :
Commencez simplement.
Signez un petit nombre de mots-clés.
Répétez ces signes fréquemment dans les situations différentes afin que le sens s’attache à vos mouvements de main. Utilisez toujours les signes à un moment où ce que vous enseignez fait sens au lieu de les enseigner hors contexte, afin que l’enfant puisse facilement associer le sens à vos signes.
Assurez-vous que votre enfant vous regarde pendant que vous signez afin qu’il ne manque pas de voir ce que vous faites avec vos mains.
Répéter le signe pour être sûr qu’il l’a vu. Par exemple, vous pouvez signer de l’ « eau » quand vous allumez le robinet pour vous laver les mains, vous brosser les dents, boire, faire la vaisselle, coulez le bain, et ainsi de suite.
Répétez le signe et la phrase à chaque fois que vous signez pour qu’il le voie à nouveau.
Parlez quand vous signez.
Tenez-vous en à un langage simple.
Prenez une expression de visage appropriée aux signes et aux paroles pour attacher plus de sens à ce que vous dites.
Au début il se peut que votre enfant vous regarde avec étonnement vous quand vous signez. Ne vous découragez pas s’il ne répond pas tout de suite à vos signes. S’il semble prêt à commencer à copier vos gestes, vous pouvez l’encourager en vous mettant à sa hauteur et en répétant le signe plusieurs fois.
Quelquefois votre enfant vous laissera lui montrer « physiquement » (en lui tenant la main) comment faire un signe. Si vous utilisez le langage gestuel comme un tremplin vers la langue verbale, il n’est pas nécessaire de signer chaque mot que vous dites. Il est, cependant, important d’utiliser des signes qui clarifient le message. Par exemple, vous pouvez dire avec le signe :
- « Veux tu du lait »
- « Boici ton lait »
- « Bois tout! »
- « Umm, le bon lait »
- « Lait »
- « Boire »
- « Bon »
Acceptez les tentatives de votre enfant pour signer même si ce n’est pas parfait. Guettez des mouvements qui sont similaires aux signes que vous utilisez avec votre enfant. La première fois que votre enfant utilise un signe, il peut ne pas avoir l’air de ce que vous auriez imaginé où apparaître dans le contexte où vous comptiez le voir. Comme avec le discours, en pratiquant et en progressant, son contrôle moteur s’améliorera.
« Nous avions travaillé le signe « encore » depuis assez longtemps, mais je n’arrivais pas à savoir si Albert essayait de faire ce signe ou faisait quelque chose d’autre. Nous avions joué aux bulles pour l’encourager à demander « encore ». Et nous avions l’habitude de dire «bulles » et « pop » pour acquérir les sons b/p. Un jour, il a signé « encore, » sans aucune aide, plusieurs fois. J’ai pensé qu’il aurait pu signer « encore » en applaudissant, mais il a fait le geste correct pour faire le signe « encore ». Je suis impatiente de voir la suite ! » - Lisa Huffman, maman d’Albert (17 mois).
Il est très important de renforcer tous les signes que votre enfant utilise en réagissant immédiatement. Pour cela, vous pouvez répéter le signe que votre enfant a utilisé et dire le mot pour lui :
Signes de l’enfant : Votre réaction :
« en haut » : Soulevez l’enfant, signez en haut et dites « en haut »
« au revoir »: Signez et dites « au revoir »
Vous pouvez aussi développer :
« chien » : Montrez le chien, signez et dites « oui, le chien »
« encore » : Donnez encore, signez et dites, « encore du lait ? »
Choisir des Signes
Il est important de choisir judicieusement les mots que vous signerez afin que trop d’informations n’accablent pas votre enfant en même temps. Pensez à ce qui intéresse votre enfant et essayez d’utiliser des signes en rapport avec ces activités. Par exemple, beaucoup d’enfants commencent avec les signes comme « plus » et « aider, » qui leur permettent d’influer sur une situation. Les signes pour les jouets préférés, les nourritures, ou les activités seront plus motivants.
Choisissez des signes qui aident votre enfant à communiquer ce qui l’intéresse. Si vous ne savez pas par où commencer, passer une semaine à relever des activités que votre enfant apprécie et les signes qui pourraient être utilisés avec elles.
Une autre façon pour décider est de choisir des signes qui réduiront la frustration de votre enfant quand il n’est pas compris. Quand les enfants atteints de trisomie 21 apprennent à communiquer, ils utilisent leur comportement pour envoyer un message. La frustration, les crises d’humeur, ou le refus de répondre à une demande communiquent des messages. Observez quand votre enfant est frustré parce qu’il ne peut pas faire passer son message et introduisez des signes qui aideront dans ces situations. Evitez ces moments frustrants tout en communiquant le message désiré est motivant pour tout le monde.
D’autres signes qui sont faciles à introduire ressemblent aux gestes naturels ou évoquent l’objet ou l’action qu’ils représentent. Par exemple, les signes pour « la balle, » « la maison, » et la « boisson » sont très proches de ce qu’ils représentent et sont des choses dont les enfants parlent volontiers. Ne pas s’attarder sur des signes correspondant à des idées que votre enfant peut communiquer déjà avec succès d’une autre façon. Par exemple, si votre enfant secoue sa tête pour dire « non » il n’a pas besoin d’apprendre le signe « non » Cependant, si votre enfant pousse ou mord pour indiquer « non » lui apprendre alors une façon plus acceptable de s’exprimer est tout indiqué.
Choisissez des signes qui permettent à votre enfant d’exprimer une variété d’actions, de relations, de sensations. Les enfants ont besoin de pouvoir protester (« non » ou « arrête »), de commenter (« joli » ou « beurk »), saluer (« salut » ou « au revoir »), poser des questions (« où » ou « pourquoi »), exprimer leurs sensations (« heureux » ou «avoir mal »), de même que nommer les objets de leur monde (« les jouets » « le chien » ou la « voiture »).
Les enfants ne sont pas toujours aussi motivés pour utiliser des signes que les parents le souhaitent. Cependant, les parents trouvent souvent qu’utiliser le signe en communicant vaut la peine pour éviter des moments de frustration. Les enfants atteints de trisomie 21 apprennent à parler plus rapidement quand les signes accompagnent les mots. Quelques exemples de signes que les parents, plus que les enfants, trouvent importants : « s’il te plaît » « merci » « excusez moi » et la « toilette ».
Pour que le langage gestuel ait un sens et soit efficace pour votre enfant, il est essentiel que tout ceux qui comptent dans la vie de votre enfant connaissent les signes que votre enfant utilise et comprend. Faites une liste de signes avec leur description pour les éducateurs, les soignants etc. de votre enfant. Votre enfant peut être désorienté ou découragé si les gens ne comprennent pas ce qu’il veut dire quand il signe.
Source : Colorado Springs Down Syndrome ass. (adaptation)
Traduction de l’anglais : François Ducrocq
Pour aller plus loin : La déficience intellectuelle face aux progrès des neurosciences. Repenser les pratiques de soin