Cet article appartient à une série d'articles sur une expérimentation menée autour de la prise en charge des déficiences intellectuelles , par le Dr. Roland Broca, dans le cadre d'un institut médico-éducatif, entre 2007 et 2015.
Les enfants qui souffrent de ce dysfonctionnement sont des enfants « muets sans être sourds » comme s’exprimait le Professeur Ajuriaguerra de l’université de Genève dans les années 60. Le terme anglo-saxon le plus généralement usité dans les publications est celui de « Specific Language Impairment ».
Introduction
Les dysphasies ne sont pas une nouvelle façon de renommer les troubles du développement du langage chez l’enfant. Les dysphasies désignent une catégorie de troubles particuliers liés à des dysfonctionnements structurels qui concernent le substrat cérébral.
Ces manifestations témoignent de lésions : dysphasie lésionnelle des infirmes moteurs cérébraux, des enfants victimes de traumatismes crâniens graves, de tumeurs, d’accident vasculaire précoce etc. Mais aussi d’atypie du développement : dysphasie de développement de certains réseaux de neurones ou de sous-systèmes spécifiquement dédiés au traitement de l’information linguistique.
Cette organicité première doit être prise en compte pour interpréter, comprendre puis traiter les difficultés relationnelles quasi obligées qui s’installent du fait du trouble du langage.
Dans de nombreux cas, on retrouve une composante familiale, ces troubles étant 2 à 4 fois plus fréquents chez les apparentés que dans la population générale.
L’enfant dysphasique conserve un désir intact de communication verbal et non verbal dépendant de la nature et de l’intensité de la dysphasie. Mais ce désir peut être cependant mis à rude épreuve par la pathologie : la frustration de l’enfant en est intense puisqu’il ne dispose pas des moyens d’utiliser le langage avec facilité et plaisir ni pour se construire ni pour échanger avec les autres. Les parents sont également en grande souffrance face à ces troubles déroutants et difficiles à interpréter, faute d’un diagnostic précis. Ils ont besoin d’une aide bienveillante pour faire face à bon escient aux difficultés de l’enfant.
Les répercussions sont toujours sérieuses car elles distordent les premières relations de l’enfant avec son entourage ; elles réduisent le champ de la communication privant l’enfant d’une source vive pour se construire et inter réagir avec les autres ; elles compromettent ensuite l’accès à l’écrit rendant la scolarité problématique ; elles renvoient l’enfant à une image d’incompétence scolaire, sociale et relationnelle.
Le diagnostic doit, par conséquent, être le plus précoce possible, avant que ne s’installent des dysfonctionnements et des incompréhensions graves. Il faut aussi proposer des aides attentives de guidance parentale.
Problématique de définition du concept
- hétérogénéité de cette pathologie
- définition de ses limites
- étiologie
- déficits neuro-psychologiques et linguistiques
La définition se fera par conséquent par exclusion.
Entre dans ce cadre toute apparition retardée et tout développement ralenti du langage qui ne peuvent être mis en relation :
- avec un déficit sensoriel (auditif),
- avec des troubles moteurs des organes de la parole ; avec une déficience mentale qui peut néanmoins co-exister,
- avec des troubles psychopathologiques notamment les « troubles envahissants du développement»,
- avec une déprivation socio-affective grave,
- avec une lésion ou un dysfonctionnement cérébral évidente.
Diagnostic clinique et classification
Affirmer la réalité du trouble
Cela suppose que le langage soit examiné dans ses modalités réceptive et expressive, que ces différents niveaux phonologiques, lexical, morphosyntaxiques, sémantiques, et pragmatique soient considérés et que le profil psycholinguistique soit établi.
Vérifier son éventuelle nature spécifique
Vérifier l’audition, les capacités motrices bucco-pharyngées, le niveau intellectuel non verbal, le comportement et la qualité de l’environnement socio affectif et culturel.
Classer en fonction des principaux aspects cliniques
Classification établie à partir de procédures expérimentales comportant la quantification d’un certain nombre d’aptitudes et par ailleurs classification de type clinique, fondée sur le recueil de données d’observation.
Analyse du concept
Prendre en compte la gravité des symptômes et leur persistance
Déviance des productions linguistiques
Ce qui plaiderait en faveur d’une atteinte structurelle de « l’organe langagier »
Mécanismes biologiques à l’origine des TSDL
Facteurs génétiques
Depuis le début des années 90, un ensemble de travaux est venu conforter l’hypothèse de l’origine génétique des TSDL. La localisation d’un gène impliqué dans le cas d’une pathologie familiale sévère du langage constitue une donnée essentielle.
Forme familiale des TSDL
Des familles particulièrement typiques ont été rapportées, notamment la famille KE dans laquelle sur 30 membres étudiés sur 3 générations, 16 d’entre eux pouvaient être considérés comme ayant ou ayant eu des troubles du langage.
On constate également une prévalence plus élevée chez les garçons et un sexe ratio inhabituel dans les familles d’enfants présentant un TSDL.
Rappelons qu’au premier plan de la causalité des dysphasies, se situe la responsabilité des structures cérébrales spécifiquement impliquées dans le traitement de l’information linguistique, c’est-à-dire tout désordre langagier en lien avec un dysfonctionnement des structures cérébrales. On parle par conséquent de trouble structurel du langage en opposition aux troubles envahissants du développement d’origine psychopathologique. Il s’agit par conséquent d’un trouble spécifique des compétences linguistiques : phonologiques, lexicales, morphosyntaxiques, grammaticales.
Dans les dysphasies, la communication est préservée, les aspects relationnels et sociaux du langage sont investis de façon adéquate (intentionnalité, interaction) ; le contenu est cohérent et adapté à l’interlocuteur et à la situation, mais la forme linguistique du message (de l’énoncé, du discours…) est perverti, distordu : l’enfant parle de façon pertinente et à propos mais il dit « mal » car il ne peut respecter (construire, appliquer automatiquement) les règles constitutives de sa langue.
Quand on parle de troubles spécifiques, on entend classiquement que ces troubles ne se trouvent pas associés à d’autres pathologies. Cependant, on constate que la dysphasie peut être associée à d’autres pathologies. C’est ainsi que la dysphasie peut être associée à la déficience intellectuelle ; on parle alors de dysphasie relative. Elle peut être également associée à une mal-audition ; elle est généralement associée à des troubles comportementaux et des troubles de la structuration de la personnalité. Dans tous ces cas, c’est la dysphasie qui est considérée comme primitive, centrale par rapport à la pathologie relationnelle.
Beaucoup d’enfants dysphasiques présentent des troubles variés du comportement, des anomalies dans l’établissement des relations à autrui, des difficultés de structuration de leur personnalité. La question qui se pose habituellement est de savoir si ces troubles sont à l’origine des désordres langagiers, en constituant la racine, ou bien si, privé, du fait de la dysphasie, des outils primordiaux de la communication interhumaine, base et fondement du développement psycho affectif et psycho intellectuel du jeune enfant, celui-ci est empêché de construire des relations « normales » avec son entourage. Son entourage lui-même se trouvant déstabilisé et démuni devant les réactions inhabituelles de cet enfant. Il est important, en tout cas, de prendre en compte la préservation des capacités de communication, verbales et non verbales, et des compétence pragmatiques chez l’enfant dysphasique, ce qui est fondamental pour le distinguer de l’enfant souffrant de troubles envahissants de développement (TED).
Pour les cas les plus sévères, on préconisera alors une rééducation orthophonique ciblée et intensive accompagnée d’un suivi dans une structure d’éducation spécialisée (IME). Cette option n’exclut absolument pas que l’enfant puisse bénéficier d’une aide psychothérapique et/ou médicamenteuse si besoin.
Il conviendra par conséquent d’effectuer un diagnostic positif pour préciser le type de dysphasie dont souffre l’enfant. A partir de quoi, il faudra construire pour chaque enfant un projet rééducatif « sur mesure » en fonction de ses besoins et non pas à partir d’un éventail de recettes dans lesquelles l’enfant serait censé faire son choix.
Ne pas oublier également de prévoir une guidance parentale indispensable à une prise en charge cohérente et globale de la situation familiale, la fratrie de l’enfant handicapé comprise.
Classification des dysphasies
Dysphasies les plus fréquentes
Dysphasies réceptives :
- la surdité verbale,
- le trouble de discrimination phonologique
Dysphasies expressives :
- la dysphasie phonologique-syntaxique
- la dysphasie phonologique où prédomine le trouble de production (de programmation) phonologique
Dysphasies globales ou mixtes, touchant l’ensemble des voies langagières.
Les dysphasies mnésiques et sémantico-pragmatiques apparaissent avec une moindre fréquence.
Les dysphasies se regroupent sous 4 rubriques
Les troubles intrinsèques de la compétence linguistique proprement dite, supramodale, où l’on distingue :
- les troubles touchant la morphosyntaxe,
- les troubles s’appliquant plus particulièrement au lexique
Les troubles prédominant sur les voies afférentes, auditivo-gnosiques, troubles de la compréhension et du décodage des sons langagiers qui comporte deux aspects :
- les troubles de l’identification des mots
- les troubles de discrimination phonologique
Les troubles qui atteignent plus spécifiquement les voies efférentes practo-motrices, voies de l’expression du langage (troubles de programmation phonologique et dyspraxie bucco faciale) et de la réalisation de la parole.
La dysphasie phonologique syntaxique, association syndromique la plus fréquemment rencontrée en pratique courante.
Dysphasie et langue des signes
Les enfants dysphasiques rencontrent les mêmes difficultés dans l’utilisation de la langue des signes que dans la langue maternelle : qu’il s’agisse de compréhension ou plus encore d’expression ou lors du passage à l’écrit, leurs erreurs commises sont du même type.
Si l’exposition à la langue des signes s’est produite très tardivement, ou si elle est très récente ou très ponctuelle ; ou si, comme c’est fréquemment le cas, l’entourage familial et professionnel de l’enfant utilise une LSF peu et mal structurée, il est alors bien sûr impossible d’interpréter les performances de l’enfant dans ce domaine. Cependant, avant de conclure systématiquement à une exposition et ou à un apprentissage insuffisants, il convient de se référer aux performances habituelles des autres enfants déficients soumis aux mêmes conditions d’apprentissage.
Au total, l’atteinte de ce module va donc se manifester conjointement dans les diverses composantes du langage : c’est cette « diffusion » qui sera la marque de l’atteinte des compétences linguistiques, morphosyntaxiques au niveau central. Dans ces cas, langage oral et langage écrit doivent donc être, chez le grand enfant, rééduqués de front, à moins que l’on ne décide, en raison de la sévérité des troubles, de renoncer momentannément à l’écrit et de concentrer les efforts rééducatifs sur les aspects oraux, communicationnels.
De même, lorsqu‘on peut rapporter la pathologie langagière à un trouble central des compétences linguistiques, en particulier morphosyntaxiques, le recours aux signes chez des enfants entendants comme palliatif au déficit communicationnel est un leurre. C’est une erreur qui conduit à enseigner à l’enfant un autre système langagier complexe, supplémentaire et superflu : les difficultés que ces dysphasiques rencontreront avec les signes seront exactement du même ordre que celles qu’ils rencontrent avec les mots parlés ou écrits.
Pour aller plus loin : La déficience intellectuelle face aux progrès des neurosciences. Repenser les pratiques de soin