Cet article appartient à une série d'articles portant sur une expérimentation autour de la prise en charge des déficiences intellectuelles , menée par le Dr. Roland Broca dans le cadre d'un institut médico-éducatif, entre 2007 et 2015.
En effet, quand on dit de chaque être vivant qu’il vit et qu’il reste le même de l’enfance à la vieillesse, cet être en vérité n’a jamais en lui les mêmes choses. Même si on dit qu’il reste le même, il ne cesse tout en subissant certaines pertes, de devenir nouveau, par ses cheveux, par sa chair, par ses os, par son sang, c ’est à dire par tout son corps. Et cela est vrai non seulement de son corps, mais aussi de son âme. Dispositions, caractères, opinions, désirs, plaisirs, chagrins, craintes, aucune de ces choses n’est jamais identique en chacun de nous.
Platon, Le banquet, 207d-208a
Le concept de plasticité neuronale, également désigné par le terme équivalent de plasticité synaptique, s’est élaboré dans la période contemporaine à partir notamment des travaux expérimentaux du chercheur Eric Kandel sanctionnés en l’an 2000 par l’attribution du prix Nobel de médecine. Il s’agit d’un moment marquant, d’une étape importante, dans la longue histoire des découvertes qui ont amené à la compréhension scientifique du fonctionnement de notre cerveau, et, à l’occasion de cette récompense prestigieuse à la reconnaissance officielle de l’importance des mécanismes de plasticité dans le domaine de la neurobiologie moderne. L’aventure commence au milieu du 19e siècle dans le cadre de l’école française d’anthropologie avec les premières localisations cérébrales et elle est encore loin d’être terminée.
Si les résultats expérimentaux qui démontrent l’existence de cette plasticité sont récents, l’hypothèse, elle, est ancienne. Santiago Ramon y Cajal l’avait déjà formulée, il y a plus d’un siècle : Les connexions nerveuses ne sont donc pas définitives et immuables, puisqu’il se crée pour ainsi cire des associations d’essai destinées à subsister ou à se détruire suivant des circonstances indéterminées, fait qui démontre, entre parenthèses, la grande mobilité initiale des expansions du neurone.
Le concept de plasticité synaptique s’appuie sur nos connaissances les plus récentes sur la structure de l’infiniment petit dans l’architectonie fine de la matière cérébrale. Suivant les estimations les plus actuelles, cent milliards de neurones connectés à un million de milliards de connexions synaptiques logent dans l’espace de notre boîte crânienne et régulent tant le fonctionnement de notre organisme que nos relations avec notre environnement physique et humain.
La migration anatomique des neurones et la construction des structures du cerveau sont programmés par les gènes, avec des connections qui prolifèrent de façon aléatoire. Le dogme de la perte progressive de neurones avec l’âge a été remis en question par la découverte d’une neurogénèse à l’âge adulte. Non seulement les neurones peuvent développer de nouvelles dendrites à des fins connectives, mais aussi de nouveaux neurones peuvent apparaître. On appelle plasticité l’ensemble de ces modulations neuronales.
La plasticité synaptique part du constat que l’expérience laisse une trace. Cette constatation a trouvé sa confirmation expérimentale du fait des acquis récents de la neurobiologie qui ont démontré une plasticité du réseau neuronal permettant l’inscription de l’expérience dans la matière vivante. Cette plasticité qui est considérée aujourd’hui comme étant à la base des mécanismes de la mémoire et de l’apprentissage est fondamentale pour la compréhension du fonctionnement de notre cerveau. Il est désormais admis que les éléments les plus affinés du processus de transfert de l’information entre les neurones, c’est à dire les synapses, sont remodelés en permanence en fonction des expériences vécues. C’est ainsi que ces mécanismes de plasticité opèrent tout au long de la vie de l’individu et déterminent de manière significative son devenir.
La trace, en termes neurobiologiques, qui est inscrite par toute expérience vécue,est dynamique et est sujette à des modifications permanentes. Ces traces en effet s’associent, disparaissent se modifient et les changements opérés sont autant structurels que fonctionnels. Le cerveau doit par conséquent être envisagé comme un organe extrêmement dynamique, en relation permanente avec l’environnement de même qu’avec les faits psychiques et les actes du sujet.
Ainsi chaque individu se révèle unique et imprédictible, au- delà des déterminations qu’implique son bagage génétique.
En effet, le niveau d’expression d’un gène donné peut être déterminé par les particularités de l’expérience, démontrant l’importance des facteurs épigénétiques dans l’accomplissement du programme génétique. Il y a en fait dans le fonctionnement des gènes des mécanismes destinés à laisser une place à l’expérience, qui entrent en jeu dans l’accomplissement du programme génétique.
Quoi qu’il en soit, la plasticité nécessite de penser de façon nouvelle la question du déterminisme. La plasticité, à travers les modifications structurelles et fonctionnelles engendrées par l’expérience, introduit aussi une plasticité du devenir. Le devenir n’est ni déterminé ni indéterminé : il est plastique.
Dans quelle mesure la stimulation adéquate de cette plasticité neuronale aidera nos efforts pour corriger les erreurs de la nature et ainsi procurera un avenir meilleur pour les enfants dont nous avons la charge, le développement de notre programme nous le dira sans doute.
Pour aller plus loin : La déficience intellectuelle face aux progrès des neurosciences. Repenser les pratiques de soin