Cet article appartient à une série d'articles portant sur une expérimentation autour de la prise en charge des déficiences intellectuelles , menée par le Dr. Roland Broca dans le cadre d'un institut médico-éducatif, entre 2007 et 2015.
L’intelligence, sa mesure, l’utilisation qui en est faite est, depuis longtemps un sujet sensible, entraînant à de multiples controverses. L’association entre génétique et intelligence l’est par conséquent encore davantage et a fait l’objet de nombreux débats, à caractère essentiellement idéologiques, jusqu'à une époque récente,. Les progrès accomplis récemment dans le domaine des sciences de la vie, et plus particulièrement dans le domaine de l’étude du génome humain, ont apporté un éclairage plus rationnel, basé sur des constatations objectivables.
S'agissant de génétique, il faut éviter de confondre son rôle dans l'embryogenèse et son rôle par rapport au développement cognitif, ainsi que sa possible évolution ou involution, tout au long de la vie de l'être humain. Ces deux champs peuvent cependant se conjoindre en ce qui concerne plus spécifiquement l'embryogenèse du système nerveux central, des accidents génétiques étant susceptibles de se produire dans les premières étapes de la méiose embryonnaire.
Héritabilité
Jusqu’à récemment, les polémiques se sont développées sur des données limitées, basées essentiellement sur des études d’héritabilité, notamment sur des études concernant des jumeaux monozygotes. Ainsi la parenté génétique entre deux jumeaux monozigotes est de 100 pour 100 ; 50 pour 100 entre des jumeaux dizigotes ; 50 pour 100 entre frère et sœur ; 25 pour 100 entre demi frère ou demi soeur Ces études montrent en effet que plus les individus sont similaires génétiquement, plus leurs scores d’intelligence sont proches. Ce qui conduit à dire que l’intelligence est héritable et qu’il y a, par conséquent, des facteurs génétiques qui interviennent pour déterminer ce que nous nommons l’intelligence générale, le facteur g.
Elevés séparément pendant des années des sujets génétiquement apparentés, sont toujours beaucoup plus semblables que des individus sans parenté génétique, élevés ensemble et le degré de ressemblance entre les nivaux intellectuels à l’intérieur de chaque paire est directement proportionnel à la parenté génétique. A contrario des individus sans parenté génétique, élevés ensemble dans une même famille et un même milieu sont quant à leurs capacités intellectuelles infiniment plus différents que des sujets génétiquement affiliés, élevés séparément dans des environnements objectivement dissemblables. A maturité il y a le même degré de ressemblance entre leurs niveaux intellectuels que celui qu’on obtient en tirant au hasard dans la population générale des personnes qui ne se sont jamais rencontrées.
On constate également que des enfants qui sont adoptés dès la naissance et élevés par des parents adoptifs avec lesquels ils ne partagent pas de patrimoine génétique, leur capacité intellectuelle ressemble parfaitement à leurs parents biologiques qu’ils n’ont jamais connus, comme s’ils avaient été élevés par eux dès la naissance.
L’héritabilité est un concept technique, défini par des critères mathématiques, issus de la méthodologie de la génétique des populations, qui est une science puisque sa méthode permet de reproduire et vérifier des données objectives ; son objet n’est pas limité à l’homme. L’héritabilité est la proportion d’influence du génotype sur le phénotype d’une population. Les différences interindividuelles ( le phénotype) sont un mélange d’influences, en partis héritées et par conséquent transmissibles à la descendance par la voie biologique, en partie acquises pour une faible part et résultant des apprentissages ou de facteurs biologiques non génétiques. L’héritabilité n’a aucun sens pour un individu, c’est une proportion dans une population.
Les résultats récents de recherche en cytogénétique moléculaire portant sur le développement du cerveau, renforcent l’idée qu’il existe une contribution génétique décisive à l’intelligence.
Retard mental et incapacités intellectuelles
C’est le Professeur Lejeune et son équipe qui ont les premiers mis en évidence en 1959 la corrélation entre une anomalie chromosomique et une certaine forme d’incapacité intellectuelle. Il s’agit de la trisomie21 consistant dans la triplicité du chromosome 21. Reste à comprendre pourquoi cette anomalie chromosomique provoque de tels bouleversements dans l’organisme et par quels mécanismes physiopathologiques. La découverte d’anomalies génétiques identifiées depuis comme ayant pour conséquence un retard mental ont permis jusqu’a une période récente de diagnostiquer entre 40 et 50 % d’enfants présentant un QI égal ou inférieur à 50. Les progrès récents accomplis dans le domaine de l’analyse moléculaire devraient augmenter très notablement ce pourcentage et démontrer ainsi la prévalence du facteur génétique sur d’autres causalités telles que les affections neurotoxiques en cours de grossesse.
Pour mesurer l’intelligence, on se sert habituellement d’une batterie de tests sensés mesurer des aspects différenciés du fonctionnement cognitif. Par exemple, la batterie de Wechsler contient une dizaine de tests évaluant ce fonctionnement sous tous ses angles : raisonnement arithmétique, mémoire verbale, vitesse de traitement de l’information, capacité d’attention, capacité de mémorisation à court et long terme, capacités verbales, capacités visio-spatiales.
On est en droit de penser que l’ensemble de ces composantes contribue à définir ce que nous appelons intelligence. Par ailleurs, on constate que les scores obtenus dans l’ensemble de la batterie de tests sont fortement corellés entre eux c’est-à-dire que quand un sujet présente un certain score à un test, il y a de fortes chances que les scores soient identiques aux autres tests. Ce constat a conduit à penser qu’il existe un facteur sous-jacent unique qui expliquerait l’essentiel des variations dans ses différentes composantes. C’est ce qu’on appelle le facteur G pour intelligence générale. Ce qui pose la question de savoir si ce facteur G correspond à une entité cognitive en termes de traitement de l’information ou biologique représentant par conséquent une propriété du cerveau.
Par ailleurs, il convient de distinguer la détection des variations génétiques qui influencent l’intelligence de la détection des variations génétiques qui peuvent engendrer des retards mentaux. Ce qui conduit à se demander quels sont les éventuels facteurs génétiques qui font qu’une partie de la population se retrouve en queue de la distribution statistique. Il semble concevable que la réponse à ces deux questions soit la même. : c’est-à-dire que les mêmes facteurs génétiques aient des variations qui influencent à la fois les pathologies de l’intelligence et l’intelligence normale. En fait, la recherche montre des différences importantes. Il existe 300 gènes associés de manière fiable à des déficiences intellectuelles. Ceci, basé sur des données extrêmement solides. Par contre, on a peine à trouver des gènes associés aux variations normales de l’intelligence. Comment expliquer de telles différences ? Il est certain que nous sommes loin d'avoir élucidé l’ ensemble des mécanismes qui conduisent du gène à la cognition. Il existe néanmoins une facilité méthodologique concernant la déficience intellectuelle qui consiste dans le fait que ce que l’on observe est massif, que ce soit dans les affections syndromiques comme le syndrome d'Angelman ou de Rett ou dans des affections non spécifiques comme l'X fragile, donc facile à détecter. La deuxième raison est que pour la condition humaine, l’intelligence, résulte d’un édifice neuronal d'une architecture extrêmement complexe et fragile, auquel il est possible de porter atteinte de multiples façons. S’il existe de nombreux gènes essentiels, trois cents environ, d'après les dernières estimations, dont les mutations peuvent avoir des conséquences dramatiques sur le cerveau en intervenant sur les capacités cognitives ce qui va se traduire par un certain degré de déficience intellectuelle, par contre, des variations courantes de ces mêmes gènes peuvent n’avoir aucun effet sur les variations de l’intelligence.
Si on prend comme exemple la phénylcétonurie, une maladie génétique qui affecte environ une naissance sur 10. 000, on constate qu’elle est provoquée par la mutation d’un gène, l’hydroxylase de la phénylalaline, une enzyme qui digère la phénylalaline. La mutation de ce gène entraîne le fait que cet acide aminé s’accumule dans le cerveau et nuit à son développement jusqu’à induire une déficience intellectuelle importante. On constate alors que ce gène n’est pas directement responsable du retard mental mais n’en est que la conséquence indirecte. Cette affection, si elle est, ce qui est le cas maintenant, détectée dès la naissance par le test de Guthrie, elle peut être corrigée par un régime alimentaire pauvre en phénylalanine, et ceci jusqu'à l’adolescence . Par ailleurs ce gène n’a aucun rapport direct avec l’intelligence ; ce n’est pas un gène de l’intelligence mais de la digestion.
En fait les troubles cognitifs peuvent être la conséquence de causes génétiques multiples : perte d’une partie d’un chromosome (délétion) perte de la totalité d’un chromosome (monosomie) triplication d’un chromosome (trisomie) etc …
Pour aller plus loin : La déficience intellectuelle face aux progrès des neurosciences. Repenser les pratiques de soin